Extrait
« Corneloup se retourna vers lui, remontant inutilement sa ceinture déjà bien haute. Avançant sa bouche sous sa fine moustache à la Clark Gable, comme pour se régaler d’avance d’un bon mot, la mine futée, avec un sourire de blagueur rangé sur le côté, il préparait avec délectation sa contrepèterie du jour. S’adressant à René Fruchard, en hochant la tête en direction du lieutenant Bernik :
–Notre jeune ami récemment arrivé à Bandol vient de se marier, vous savez ! Puis se retournant vers le lieutenant qui opinait du chef sans se départir de son sourire jobard approbateur. C’est bien beau de faire le marié, Bernik, encore faut-il arriver à Bandol !
–Puis s’accrochant à sa ceinture, de lâcher un éclat de rire, se perdant dans les fréquences aiguës les plus improbables, laissa ses deux spectateurs, l’un la bouche en O, l’autre le sourire figé en forme de tilde comme un arrêt sur image.
–Ils n’ont pas compris, ça fait rien, marmotta Corneloup d’un air résigné en grimpant l’échelle pour aller inspecter le bateau. Allez, au travail !
Fruchard et Bernik échangèrent un regard perplexe en haussant les épaules puis suivirent le capitaine. Après une bonne demi-heure d’inspection et de clichés photographiques artistiquement réalisés par le lieutenant arborant diverses positions, toutes plus affriolantes les unes que les autres, le capitaine posa le pied sur un siège du bateau. Il plastronna ainsi face au photographe devant un tas d’objets mis sous sacs plastiques, tel un chasseur fier de sa proie. « Maigre butin ! Quelques guenilles entachées de sang. Un peu de bouffe. Des poubelles pleines. Et des clopes. Avec ça…, finit-il par dire en abaissant subitement d’un ton le début de sa déclaration partie sur l’air de la fanfaronnade.
–Bernik, vous allez faire analyser ces tissus ensanglantés au labo. Et envoyez des photos de ces paquets de cigarettes à l’ambassade de Grèce pour confirmer leur provenance.
Il s’agissait de la deuxième inspection, la première s’étant réalisée à bord assez succinctement lors de l’opération de secours avant que le corps inanimé ne soit rapidement évacué vers l’hôpital par hélitreuillage. En regardant sa montre, il s’amusa du coup d’œil envieux de Fruchard.
–Eh, mais oui c’est une Rolex Seg & Lah cher monsieur. C’est la moins ruineuse, mais ayant passé les cinquante ans, je me suis offert ce cadeau dont je rêvais depuis longtemps !
Puis arborant une mine de regret en forme d’autodérision.
–Comme quoi[…] »
Extrait de: BORIS GEISER. « LA DOUCE TORPEUR. »
N.B. 10 contrepèteries se sont glissé dans « La Douce torpeur » – Voir le décryptage